Poète et peintre originaire de l’Aïr au Sahara central, Hawad est Amajagh, « Touareg » pour les étrangers. Il a choisi d’écrire dans sa langue, la Tamajaght, qu’il note en alphabet touareg vocalisé, les Tifinagh. Le drame et la résistance du peuple touareg ou de tout peuple menacé d’extermination émaillent son univers de fiction. Pour résister au chaos et au non-sens, pour lutter contre l’aliénation de l’imaginaire, ultime dépossession de soi, Hawad invente la « furigraphie » (zardazghanab). Cravachant « la cavale des images et des imaginations, qui s’emballe», il esquisse des issues hors du scénario imposé par la domination et la violence. Sa « furigraphie » picturale ou littéraire est un moyen de sortir de l’enclos, d’inventer un « surnomadisme », hors d’un temps et d’un espace confisqués, de dessiner un soi multiple et insaisissable, doué d’ubiquité.
Enfant, Hawad reçoit une éducation nomade qui l’initie à la mobilité non seulement spatiale mais également sociale, culturelle et linguistique (en plus de sa langue maternelle, il pratique plusieurs langues régionales dont le haoussa et l’arabe). Son imaginaire est marqué par les récits de la résistance anticoloniale menée par ses ancêtres au début du XXᵉ siècle, par l’extermination des combattants de sa confédération (sur les neuf cents foyers Ikazkazen, il n’en restait que soixante à la fin de la guerre) et par le danger de disparition qui pèse sur son peuple et sur sa culture.
Échapper aux certitudes, ne jamais renoncer, même au fond du gouffre, à tailler sa route hors des voies tracées… Voici l’éperon qui anime les personnages éclectiques que Hawad met en scène dans sa poésie « de la soif et de l’égarement». Ces êtres traversent le désert, minéral autant qu’humain. La frontière à dépasser, qu’elle soit matérielle ou immatérielle, est un thème récurrent dans son œuvre. De même le motif de la « soif », quête philosophique qui éperonne les voyageurs cosmiques (Caravane de la soif, 1985 ; Chants de la soif et de l’égarement, 1987 ; L’Anneau-Sentier, 1992). A la recherche de l’eau, l’assoiffé sort des chemins tracés, pénètre dans le désert, perd son orientation, s’égare, divague, pour être enfin prêt à inventer sa propre route.
A la racine de cette soif, dans l’univers de Hawad, des flammes brûlent, des braises se consument, attisées par la déchirure du monde nomade, par l’oppression de son souffle, par l’étouffement de ses rêves. Les événements tragiques qui émaillent l’histoire touarègue contemporaine s’insinuent dans la fiction. Ainsi, Testament nomade (1987) évoque l’expulsion brutale, hors des frontières de l’Algérie, des Touaregs recensés dans d’autres Etats. Froissevent (1991) est inspiré en 1984 par la débâcle des nomades cernés par la sécheresse lorsque, entraînés dans l’exil du corps et de l’âme, ils tombèrent et s’empêtrèrent dans les filets de cet « ailleurs » qui partout imposait ses limites et sa raison. La danse funèbre du soleil (1992) anticipe douloureusement les massacres de civils touaregs perpétrés dans les années 1990 au Niger et au Mali et la naissance d’une rébellion armée. Yasida (1991) à son tour soulève le problème de la résistance que les minoritaires, les pauvres, les exclus du monde dominant, doivent mener contre l’anéantissement qui les guette. Sahara, visions atomiques (2013), Dans la nasse (2014) et Irradiés (2015) explorent les replis telluriques des conflits et de l’intervention des puissances internationales, précipitant l’agonie du désert et la destruction des Touaregs et de leurs terres : « ruines paysage de fer et de feu/ explosions défonçage trous/ égouts marécage bourbier/ où grouillent les restes du monde/ entassés sur les barbelés et les mines »
A l’oppression répondent plusieurs attitudes qu’incarnent différents personnages exprimant des visions contrastées du monde, que la scène se déroule dans le désert minéral ou dans celui des cités modernes. Quel que soit le débat, la pluralité des choix se traduit en joutes animées où s’entrecroisent les vérités contradictoires des acteurs, en définitive arasées par les flux cosmiques. La dérision des actions et des certitudes de l’homme, « petit grain dans les vagues de dune », transparaît toujours en filigrane dans cette oeuvre où seuls les aveugles et les marginaux apparaissent doués de clairvoyance, dépassant les antagonismes pour assumer le rôle de médiateurs entre les mondes.
Hawad est l’auteur d’une vingtaine ouvrages dont Furigraphie – Poésies 1985-2015 (Gallimard/Poésie, 2017), Vent Rouge (Institut du Tout-Monde, 2020) et Fiel de cuivre (La Rumeur Libre, 2024). Ses écrits ont été traduits en diverses langues (français, néerlandais, norvégien, sami, italien, espagnol, catalan, kurde, turc, arabe, anglais, occitan). Son travail littéraire a été honoré par le prix Argana 2017 (Prix international de Poésie, Rabat, Maroc). Ses encres et ses toiles ont été exposées dans les villes de plusieurs continents, en Europe, en Amérique du nord et du sud, et en Afrique.
(Présentation issue des écrits d’Hélène Claudot-Hawad)
Souleymane Ag Anara, Professor Maria Elena Avino, Iknane Ag Hamed Ahmed, Samana Mohamed Al-Mostapha, Dario Berardi
ainsi qu’à tous les artistes et figures emblématiques qui ont partagé leurs récits pour les générations futures.